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François Lamy me fait chevalier de la Légion d’honneur

Paris, le 5 mars 2013, discours du ministre délégué à la Ville, François Lamy

Madame la ministre déléguée à la réussite éducative, George Pau-Langevin, Mesdames les sénatrices Bariza Khiari et Esther Benbassa, Mesdames et Monsieur les adjoints du Maire de Paris (Claudine Bouygues, Fatima Lalem, Hamou Bouakkaz), Monsieur Cheb Sun, Mesdames, Messieurs,

C’est avec beaucoup de plaisir que je vous accueille ce soir à quelques pas du Ministère de la Ville, cher Marc Cheb Sun, où j’ai proposé que vos invités, proches, amis, et collègues, se retrouvent pour cette cérémonie en votre honneur. Leur présence nombreuse, à elle seule, est une illustration de la richesse et de la pluralité de votre parcours d’écriture, d’engagement et de création, que nous mettons à l’honneur aujourd’hui.

Marc Cheb Sun, vous êtes né à Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, et vous avez grandi dans un triple héritage, celui des cultures française, italienne et égyptienne. Au lycée, à Saint-Denis, les choix d’orientation que l’on vous propose sont des non-choix, des découragements, que vous qualifiez de « désorientation scolaire ». Vous vous sentez déjà attiré vers l’écriture, et vous y êtes encouragé par une professeure d’histoire-géographie, qui, elle, a compris ce qui vous tient à coeur. Malgré cette enseignante, ce n’est pas l’école qui vous donnera les premières clés pour transformer cette passion en avenir. Mais c’est mal connaitre la force de la passion, et vos propres ressources…

De ce plafond qu’on vous impose, va naitre votre capacité à vous former autrement. Autodidacte, vous l’êtes, dans le sens de celui qui se forme grâce à d’autres sources que celles des institutions : par les rencontres, les expériences, et les défis. Viennent alors les années de construction : des « années d’errance » dites-vous, et de découvertes. Elles vous conduiront, par des chemins détournés, vers l’écriture. La première incarnation de cette voie que vous cherchez, c’est la musique : le rock et le hip hop. Vous y découvrez la richesse de ces cultures de résistance, dont la créativité se forge toujours dans l’opposition aux systèmes moraux et économiques de l’époque qui les voit naitre. Les mouvements punk et rap exhortent à la spontanéité, et ce faisant, vous accordent à vous-même la liberté d’écrire et de créer. Dans le droit fil du mouvement hip-hop, vous fondez votre marque de vêtements « Stix & Mali », que vous avez l’occasion de présenter au Président de la République François Mitterrand en 1984. A la fin des années 80, votre passion pour les scènes alternatives vous mène régulièrement à Berlin. Vous vous y installez en 1990, et vous prenez part à la lutte contre la vague de violences racistes perpétrées contre les immigrés en Allemagne. Car les années qui suivent la chute du Mur de Berlin, qui restent majoritairement dans nos esprits comme celles d’un renouveau de liberté et de démocratie, sont aussi, malheureusement, une période de troubles en Allemagne. Des groupes néo-nazis s’organisent et incendient maisons, foyers, et immeubles habités par des immigrés. Les plus emblématiques de cette vague de crimes racistes sont les attentats de Rostock, Mölln, ou Solingen, en 1992 et 1993. Vous participez donc à la création d’un collectif, « Dipipol », qui regroupe à Berlin des étrangers de tous les continents, dont l’objectif est de faire connaitre le climat de terreur qui s’est installé parmi les familles des migrants, en recueillant leurs témoignages. Vous initiez un travail pédagogique dans les écoles des ex-Länder d’Allemagne de l’Est, et le collectif édite une revue, dans laquelle vous publiez vos premiers articles. D’autres parutions dans la presse allemande vous apportent légitimité et reconnaissance dans le métier de journaliste, et d’auteur. De ces années berlinoises et de votre engagement, vous direz que ce fut une expérience «positivement traumatisante».

Vous reviendrez en France en 1996. Désormais journaliste indépendant, vous collaborez à nombreux médias sur la thématique des quartiers populaires, des cultures urbaines, des combats pour l’égalité et contre les discriminations.

L’idée de Respect Mag est alors encore en gestation. Vous percevez la nécessité de parler de culture, de toutes les cultures, et de la diversité qui fonde la France, mais que notre pays n’arrive pas à regarder en face. Vous ressentez qu’au-delà d’une parole sur la cohésion sociale, sur le vivre ensemble, notre société a besoin de parler ouvertement de l’islam, pour favoriser et accompagner l’affirmation d’un islam progressiste.

C’est à partir de 1999 que le projet de magazine prend réellement forme, et que commence une longue période de concrétisation : recherche de soutiens financiers, de collaborations, création d’un réseau… Votre inspiration, c’est le magazine Actuel de Jean-François Bizot. Mais pour y parvenir, il vous faudra convaincre de l’intérêt d’une presse magazine qui encourage l’évolution des regards sur les habitants des quartiers populaires, et qui affirme l’urgence du désenclavement territorial et culturel.

La naissance de Respect Mag, prévue à la fin de 2001, est reportée, contre votre gré, après les attentats du 11 septembre. Il faut à nouveau parler aux partenaires, leur démontrer que c’est justement dans une période de repli sur soi et de peurs fantasmées qu’il faut proposer une alternative aux médias qui ne jurent dans cette période que par le prétendu « choc inévitable des civilisations ».

Entre temps, vous accompagnez la ligne éditoriale de la revue de l’association Terres d’Europe, lancée à la suite d’un colloque de l’Unesco, qui s’intitulait « Pour un islam de paix ».

Avec votre ténacité, l’appui de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, du Fasild et de la SNCF, c’est finalement en 2004 que Respect Mag sera définitivement lancé avec pour mission « de décoloniser les imaginaires, d’apprendre à vivre ensemble, pour la reconnaissance des minorités, dans une République métissée. »

Votre vecteur, votre passerelle entre les quartiers populaires et l’ensemble de la société française est enfin dans les kiosques. Il impose un ton libre, décomplexé, ouvert sur le monde et sur lui-même. La reconnaissance de la qualité de votre magazine se traduira en 2008 par la remise du Prix du journalisme « Pour la diversité et contre les discriminations », de la part de l’Union européenne. L’année suivante, c’est l’ONU qui citera le site internet Respect Mag comme une des initiatives les plus innovantes pour créer du lien entre les jeunesses du monde.

L’histoire de Respect Mag est en marche, la formation de nouveaux talents que vous accompagnez l’est aussi, et vous voyez avec fierté les projets de vos rédacteurs et graines de journalistes se développer et prendre leur envol.

Respect Mag et son créateur ont des vies intimement liées, ce qui ne vous empêche pas d’être un ambassadeur du métissage et du dialogue culturel en dehors de vos fonctions de directeur de la rédaction.

De 2006 à 2009, vous avez été également administrateur de l’Acsé, et de 2007 à 2009, membre de la commission Images de la Diversité du CNC et de l’Acsé.

Avec la réalisatrice Marie Vanaret, vous concevez des textes pour des spectacles chorégraphiques joués notamment à Marseille et à Paris, axés sur la thématique du métissage des cultures.

De vos multiples collaborations et publication depuis quelques années, le temps raisonnable d’un discours ne me permet d’en citer que quelques unes, qui revêtent une importance toute particulière pour moi, dans ma fonction de ministre délégué à la Ville.

Je veux citer L’Appel pour une république multiculturelle et post raciale lancé le 20 janvier 2010, un an après la prise de fonction de Barack Obama, appel que vous avez créé avec Pascal Blanchard, Rokhaya Diallo, François Durpaire, et Lilian Thuram. Car il pose une question centrale : « Comment ouvrir la République à tous les citoyens qui la composent ? ». Vous proposiez au débat des 100 propositions, qui ont alimenté et continueront d’alimenter les débats, et l’évolution des politiques publiques.

Je veux également citer votre collaboration, et celle de Respect Mag avec Terra Nova et Olivier Ferrand, dont je veux encore ici saluer la mémoire et rappeler combien aujourd’hui son intelligence, sa vivacité nous manquent beaucoup. Au début de l’année 2012, à l’occasion de la campagne présidentielle, vous publiez conjointement Seize propositions pour faire bouger la République. Là aussi, parmi d’autres initiatives militantes, vous contribuez à faire progresser le débat politique. Des propositions trouvent déjà leur traduction dans les politiques du gouvernement. D’autres sont encore, pour le dire pudiquement, en jachère. La création, dès cette année, des Emplois Francs, sur des villes test, pour lutter contre le chômage des jeunes en inversant le principe des Zones Franches Urbaines, pour associer l’aide de l’État non plus à l’adresse de l’entreprise, mais à celle de la personne embauchée, bien entendu en CDI. Je pense aussi à la conduite interministérielle d’un travail sur la mémoire collective dans les quartiers populaires, et de l’histoire de l’immigration. En cette année du 30ème anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, je veillerai particulièrement à ce que les initiatives pour la célébrer soient soutenues et deviennent des moments dynamiques et utiles – et pas seulement mémoriels.

Chargé depuis 10 jours par le Premier ministre d’une mission interministérielle pour la lutte contre les discriminations dans les quartiers populaires, les propositions, les rapports et les recueils de doléances qui ont vu le jour ces dernières années, seront pour moi une ressource indispensable à la conduite de mon travail. Je crois que le temps n’est plus à la construction d’un diagnostic, il est à l’expérimentation et à la généralisation de nouveaux dispositifs, et à l’observation de leur efficacité pour réduire les écarts entre les territoires et entre les habitants.

Je pense par exemple à la reconnaissance opposable des discriminations à l’adresse, qui sera complémentaires de la lutte contre les discriminations liées à l’origine ou à la religion, qu’elle soit réelle ou supposée. Je pense également à la réflexion nécessaire pour parfaire dans notre pays la reconnaissance, dans toute sa dignité, de la deuxième religion de France, l’islam, et de ceux qui la pratiquent, loin des caricatures et des fantasmes. Et je ne pense pas qu’en disant cela, je fasse vaciller dangereusement les principes fondateur de la loi de 1905.

Marc Cheb Sun, les projets dont vous êtes à l’initiative, témoignent tous de la valorisation de chacune de nos différences. Tout simplement parce qu’être reconnu comme un individu à part entière permet de s’inscrire dans une histoire collective. C’est le changement de philosophie que je m’applique à transcrire dans la nouvelle Politique de la Ville. Cette nouvelle philosophie, je souhaite l’appliquer tout particulièrement au regard que l’on porte sur les jeunes de nos quartiers populaires. Il s’agit moins de les intégrer que de lutter contre les discriminations dont ils sont victimes, de les reconnaître comme des jeunes de notre pays à qui l’on doit donner les mêmes droits et les mêmes moyens pour construire leur avenir qu’à tous les jeunes de France.

Marc Cheb Sun, vous avez cette capacité à faire faire à nos esprits ce pas de coté, qui change l’axe de notre regard. C’est ce dont a besoin notre pays, pour s’aimer mieux, pour s’aimer complètement. Parce que vous avez créé au fil de votre parcours des laboratoires d’idées et une pépinière de talents, Parce que votre expression artistique, journalistique, et intellectuelle construit la pensée d’une France qui aime sa diversité et son métissage, le gouvernement a souhaité vous transmettre la reconnaissance de notre pays en vous nommant au grade de Chevalier de la Légion d’honneur.

Marc Cheb Sun, Au nom du Président de la République, Et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, Nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur.

Lien vers mon discours, suite à celui de Monsieur le Ministre (et les photos de la cérémonie)

Lien vers l’article dans le quotidien Metro

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