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Interview au quotidien Metro

« La société est déjà multiculturelle »

Cinq personnalités dont l’historien François Durpaire et le fondateur de Respect Mag, Marc Cheb Sun, lancent un « Appel pour une République multiculturelle et postraciale »

 Quel a été le point de départ de cet appel ?

François Durpaire : Le lendemain de l’élection d’Obama auxEtats-Unis, des gens issus de milieux très différents se sont demandé ce qui se passait et si nous pouvions aussi faire un « Yes, We can » en France. La question que je me suis alors posée c’est « est-ce que l’on a les moyens de construire un mouvement collectif ici à partir de ce qui existe déjà? ». Le cœur du projet c’est donc la citoyenneté. La France, elle n’a pas besoin de changer. Elle a déjà changé. On n’est pas là pour dire que la société française doit évoluer. La société est déjà multiculturelle et faite de diversités.

Marc Cheb Sun : Il y a un contexte qui s’y prête particulièrement. On va fêter l’anniversaire de l’indépendance de plusieurs pays d’Afrique noire qui devrait être l’occasion de réfléchir plus largement sur notre histoire commune et ce, même s’il y a eu séparation suite aux indépendances. Ces dernières ont généré des mouvements migratoires, des représentations inconscientes : une histoire à plus d’un titre, importante à connaître, à transmettre de manière à ce que le « grand récit national » puisse impliquer chacun.

Il y a un an, Barack Obama était investi à la présidence des Etats-Unis. Je pense que c’est forcément quelque chose qui nous interpelle. D’ailleurs, au moment de son élection, on a vu surgir des questionnements dans les médias. Est-on allé au bout de la réflexion ? Je ne pense pas du tout. On est resté dans ce traitement ponctuel comme on le fait souvent avec l’information. Étant un homme de média, le traitement de l’information m’intéresse et je trouve que l’on n’a pas poussé la réflexion assez loin pour s’interroger sur le fonctionnement de notre propre société et la place qu’elle laisse à chacun.

Il y aussi la question de l’outre-mer qui est loin d’être réglée ou les émeutes en banlieues qui sont restées dans la mémoire comme un énorme point d’interrogation : « et après que se passera t-il ? Dans les actes, si peu !

Les émeutes en banlieues, les révoltes de l’Outre-Mer, l’investiture de Barack Obama, l’anniversaire de l’indépendance de certains pays d’Afrique noire… C’est un contexte général qui a fait surgir un certain nombre de questions. Des questions qui n’ont pas pris la forme d’un cahier de doléances mais de 100 propositions. Car proposer, construire, c’est être adulte. Et, aujourd’hui on ne peut plus infantiliser les populations issues de l’immigration comme on les a longtemps nommées. Elles sont passées, malgré toutes les discriminations et les difficultés auxquelles elles peuvent faire face, à un stade adulte.

Est-ce que vous voulez être un porte-voix de ces « minorités » ?

Marc Cheb Sun : Je ne dirais pas forcément « porte-voix ». Les cinq auteurs ont chacun une approche complémentaire. On a des historiens qui renvoient à notre histoire commune. On a des personnes qui travaillent sur la représentation des minorités comme, par exemple Rokhaya Diallo et « les Indivisibles ». On a une personnalité comme Lilian Thuram qui s’est beaucoup investi dans l’éducation contre le racisme, ce qui est une approche particulière et relativement peu traitée malgré son importance.

Moi, mon itinéraire qui est passé par la création de Respect Mag’ me donne la volonté de revenir au sens propre du mot média, qui je le rappelle vient de « médiation ». Et, dans une société où des gens se sentent traités à part, le rôle du média est de créer des espaces d’informations et d’échanges où les différentes composantes peuvent travailler, faire ensemble.

Qu’est-ce que vous voulez changer avec cet appel?

François Durpaire : La diplomatie française, l’Assemblée nationale, les entreprises ou encore les grandes écoles ne ressemblent pas à la France. Le projet, c’est de mettre la France en phase avec elle-même. Pour l’instant, les institutions ne suivent pas.

On ne fait pas ça pour porter les espérances de gens qui se sentent marginalisés mais on fait ça pour que l’ensemble des gens se sente mieux dans ce pays. Si on se met en phase avec nous-même, c’est la question de la cohésion sociale qui est réglée tout comme l’économie, l’emploi et le rayonnement de notre pays à l’étranger.

Ce que l’on espère changer aussi dans les prochaines années, c’est que cette France qui a déjà changé puisse peser sur son destin. C’est un enjeu démocratique. La démocratie ce n’est pas simplement pour les gouvernants qui demandent au peuple tous les cinq ans la permission de les gouverner sans leur demander leur avis pendant cinq ans. Quand on fait un système où les institutions sont aussi bloquées que celles-là, on se retrouve avec une situation où l’on a un gouvernant et les gens dans la rue.

Marc Cheb Sun : La liberté, l’égalité, la fraternité ne peuvent pas rester seulement une inscription sur le fronton des mairies ou une incantation. Ce sont des mots auxquels il faut redonner du sens. Et leur redonner du sens, c’est mettre en place des actes.

Et puis, l’idée de diversité ne doit pas être considérée comme un sujet à part ou un thème à la mode mais au contraire comme quelque chose qui est propre à reconfigurer l’ensemble de la société française. Il fallait donc répondre par le biais de cet appel aux questions: « D’où venons-nous ? », « Qui sommes-nous collectivement ? » et « Quel projet de société voulons-nous construire ensemble ? ».

Le terme « post-racial »» dans notre « appel pour une république multiculturelle et post-raciale », cela veut dire que la France a très longtemps abordé les questions uniquement sous l’angle social. Nous, on n’oppose pas la question raciale à la question sociale mais, on dit que compte tenu de l’histoire française et de son histoire coloniale, on doit s’interroger sur les questions raciales et pas seulement sur les questions sociales. C’est un tabou sur lequel nous avons voulu mettre le doigt.

Vous pensez que cet appel va avoir des effets concrets sur les Français ou le monde politique ?

Marc Cheb Sun : Ça sera à chacun de s’en saisir ou pas. Moi j’estime qu’il y a une matière immense dans cet appel. Cela touche la culture, l’économie, le social, la diplomatie, les médias. C’est une base pour aller de l’avant qui peut inspirer tout le monde. Je pense qu’un jeune peut s’y reconnaître tout comme un professeur, un parent d’élève ou un politique.

Ce sont des Français qui ont fait un travail particulier sur la diversité de la société française et qui parlent à tout le monde en leur disant : « ça, c’est possible, c’est faisable ». Après, ces propositions peuvent créer du débat car elles ne sont pas là pour demander une unanimité. D’ailleurs, les cent contributeurs ne sont sûrement pas unanimes sur les cent propositions. Mais, ce n’est pas le problème car on n’est pas marqué par une idéologie qui fait que chacun doit s’aligner sur les idées et les propos de l’autre. C’est une démarche positive, constructive.

Vous pouvez nous donner un exemple de prise de position ?

Marc Cheb Sun : Sur le constat actuel, on dit par exemple que le fait de pouvoir faire une photographie de la société française et notamment avec le recueil de données y compris ethno raciales (en cadrant toute utilisation négative) , est une nécessité. On a besoin de faire un véritable état des lieux et au-delà, de mesurer les changements. On ne dit pas qu’il faut simplement photographier les discriminations. On dit qu’il faut pouvoir mettre en route des actions pour aller vers plus de diversité et mesurer ces actions pour voir qu’est ce qui marche, qu’est ce qui ne marche pas, qu’est ce qui marche ailleurs, comment faire mieux, comment faire plus. Pour cela, on a besoin d’outils.

François Durpaire : Il y a des propositions très concrètes comme celle-là et puis il y a des mesures plus audacieuses voire folles. Par exemple Benoît Thieulin, directeur général et cofondateur de la Netscouade, a proposé qu’un tiers du Sénat soit tiré au sort. Pourquoi pas ? C’est ce que les Grecs faisaient. C’est la stochocratie. Si on a peur que Madame Dupond ou Monsieur Da Silva décident des lois pour l’ensemble du peuple français c’est que l’on a peur de nous-même et de la démocratie.

Selon vous, quels sont les problèmes de la société française ?

François Durpaire : Le vrai problème c’est le lien. Qu’est ce que l’on fait en terme de liens dans ce pays ? On a une histoire qui est construite autour de barricades qui sont soit physiques comme en 1789, 1830, 1848, 1871, 1936, 1968 ou 2005, soit mentales ou idéologiques. On construit des débats nationaux tous les quinze jours pour scinder la population française en deux.

L’idée, c’est de passer dans une phase qui n’est plus celle de la barricade mais du lien et de se demander « qu’est-ce que l’on peut faire tous ensemble ? ». Pour cela, il faut dépasser la situation actuelle et arrêter de se demander qui on est aujourd’hui pour se projeter et agir. On est donc plus dans l’action et le pragmatisme.

Et, symboliquement, lorsque l’on demande des propositions à la fois au président du Conseil Général de la Réunion, Nassimah Dindar qui est affilié à l’UMP et au président du Conseil Régional de la Réunion, Paul Vergès qui est communiste, c’est pour dire que l’on peut travailler ensemble. Il ne s’agit pas de gommer les aspérités pour dire que l’on est tous d’accord. Il s’agit de dire que si l’on construit quelque chose collectivement en se focalisant sur le « quoi » et non plus sur le « qui fait quoi », on ira peut-être vers quelque chose de mieux.

Qu’est ce que vous pensez du débat sur l’identité nationale ?

François Durpaire : Ce qui circule entre nous c’est la phrase : « Un débat, oui. Ce débat, non ». On n’a pas peur de l’identité nationale comme on peut le voir sur la couverture de l’appel où l’on porte tous une cocarde tricolore.

Ce que l’on dit simplement c’est que l’identité nationale, c’est le peuple. La nation dans ce pays vient du peuple. Un ministère de l’Identité nationale ne peut donc être qu’une erreur historique. Ce n’est pas au gouvernement de s’occuper de cela.

De plus, l’identité nationale, être français, c’est un statut juridique. C’est pauvre, c’est minimaliste mais à partir du moment où vous faites une deuxième phrase, vous rentrer dans l’arbitraire et vous donner la possibilité pour n’importe quel Français de dire si son voisin lui paraît plus ou moins Français que lui. Dans un pays qui est un état de droits, la nationalité ne peut être qu’un statut juridique. Point final.

L’identité nationale c’est dans le cœur des gens. Ce n’est pas au gouvernement de sonder quoi que soit. Il y a une définition minimaliste qui doit être la seule retenue par l’Etat.

Marc Cheb Sun : Un tel débat doit très bien se penser. Il devrait d’abord passer par une consultation pour éviter de déchaîner les passions et donc de diviser les gens. Je regrette que ce débat n’ait pas créé les conditions pour rassembler. Il n’a pas rendu chacun acteur et s’est polarisé non pas sur la richesse des différences, mais sur les problèmes qu’elles créaient.

Je pense qu’il y a de manière sous-jacente dans le débat actuel la question de l’immigration voire de l’islam. On les pointe du doigt comme un problème constant alors que nous, nous insistons sur l’aspect dynamique que cela peut apporter à notre société. C’est une différence fondamentale. Nous, nous voulons que chacun puisse se sentir acteur de ce que nous proposons même si c’est pour dire « je ne suis pas d’accord avec cette proposition ».

Et, ce débat sur l’identité nationale n’engage pas les gens comme des acteurs qui participent à la construction de leur société. Il en fait davantage un problème très difficile à résoudre. Je pense que chez les minorités visibles, la plus grande lassitude, c’est d’être constamment considéré comme un problème.

Nous, on s’interroge de manière constructive alors que ce débat interroge les gens de manière défensive. Nous, ce qui nous intéresse c’est de construire.

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