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Les mots de Maryse Condé

En 2011, Marc Cheb Sun, directeur de D’ailleurs et D’ici, rencontrait Maryse Condé à son domicile parisien. Un moment intense que nous re-publions aujourd’hui en hommage à la grande écrivaine et à la femme engagée.

Quels écrivains-nes vous ont le plus influencée ?

Aimé Césaire car, sans lui, je n’aurais pas réalisé être une femme noire, je n’aurais pas compris que mes racines sont en Afrique et qu’il fallait regarder par là. Fanon m’a appris que j’étais une « peau noire masque blanc » (1). Littérairement, je dirai Gabriel Garcia Marquez, pour son coté réaliste et merveilleux. Marguerite Duras pour la voix des femmes. Elle a transmis une musique de son écriture. C’est ce que j’aimerais qu’il reste de moi.

Vos musiques préférées ?

Pour moi, musique et littérature vont ensemble, je ne les sépare pas. La musique m’aide à écrire, elle rythme mon travail, j’en écoute toujours lorsque j’écris. J’aime beaucoup la musique classique, la musique haïtienne, le blues…

Un rêve?

J’aurais aimé qu’en ouvrant un de mes livres, mon lecteur puisse entendre ma voix. De la même façon qu’on reconnaît un artiste musicien, j’aurais aimé qu’on entende mon style.

D’ailleurs êtes-vous rêveuse?

Bien sûr. Je ne serais pas écrivain si je n’étais pas rêveuse. Rêver sa vie, les relations humaines, rêver le monde… A la conscientisation, il faut ajouter le rêve. Mes premiers écrits étaient très militants. Puis je suis allée vers d’autres formes d’expression. Désormais le rêve fait partie de mes efforts de créativité.

Un conseil à quelqu’un qui veut écrire?

Les conseils empêchent les gens d’être ce qu’ils sont. Mais disons qu’il faut rester soi même, éviter de trop demander aux autres ce qu’ils pensent de ce qu’on écrit, essayer de se fier à son jugement personnel. Ecrire, c’est créer.

Que symbolise la liberté?

Est-on vraiment libre? Je crois qu’on essaie tous de l’être.

Vous dîtes : « Je n’ai plus de racines ». Pourquoi?

Mes racines sont en moi. Je les porte avec moi. Je crois qu’il ne faut pas les lier à un endroit, ou à un peuple précis. Il y a longtemps, je pensais être proche des gens qui me ressemblaient. On peut être très proche des gens qui semblent très différents. J’ai vécu en Guinée, notamment, j’y ai compris les limites de la Négritude, malgré l’importance de cette idée, dans le sens où la couleur ne pouvait, seule, rassembler les gens : il y a aussi les valeurs, le contexte… Ma vision est très différente aujourd’hui. On nous oblige à assumer une identité, mais c’est un fardeau. Ce mot devrait être banni car il nous oblige a être autre chose que ce que nous sommes profondément. Les notions d’identité collective sont lourdes a porter. En Guadeloupe si on ne parle pas créole, si on n’aime pas le gros Ka on est pas guadeloupéen. L’identité ne peut pas être un modèle qu’on nous impose. L’identité française a changé dès que des étrangers sont arrivés. L’identité nationale est en mouvement. En Amérique, chacun est différent mais le dialogue, à partir d’un socle commun, se fait plus facilement. Est-ce que la France respecte la différence? On demande à tout le monde de se fondre dans un moule. On pense que, pour être accepté, chacun doit se conformer à un modèle.

Quel regard portez-vous sur le dit cinquantenaire des indépendances africaines?

Quelles indépendances? Est-ce que, vraiment, les chefs d’État africains s’intéressent à leurs peuples? Ils font des statues, très bien, mais sont-ils à l’écoute du peuple? Mon premier livre, Heremakhonon, parlait de ça, il est toujours d’actualité. On ne rigole pas, on pleure. 

Avez vous foi en l’humanité?

Ça vous étonnera, mais je suis profondément optimiste. Je crois que, malgré tout, le monde va vers plus de partage, de respect des différences, de conscience. Nous connaissons, bien sûr, des moments sombres et intolérants mais le temps viendra car, globalement, nous progressons. Ma grand-mère était servante pour des Blancs, avec tout ce que cela supposait comme type de conditionnement et comme quotidien à l’époque, elle ne ne savait ni lire ni écrire. Et moi je suis écrivain. Pourtant, cette époque n’est pas très loin. Ça prendra encore du temps, ça sera long et douloureux. Mais j’ai la foi. Oui, je vois que le monde va mal, qu’il y a beaucoup d’opprimés mais je suis sûre qu’on arrivera à changer les choses.

Que faut-il faire pour inciter les jeunes à lire?

Je ne suis pas certaine qu’ils lisent de moins en moins. Ils lisent différemment, sur internet, sur les blogs…. Peut-être suis-je, heureusement, dans une bulle? J’arrêterai d’écrire si je pensais que les gens ne lisent plus.

Écrire ?

C’est un travail. Ceux qui pensent qu’on s’assied, et qu’on attend l’inspiration tomber, ceux-là se fourvoient. Oui, c’est un travail. on cherche des sons, des rythmes, des métaphores. Ça reste un plaisir douloureux mais si on ne pouvait pas le réaliser, on serait malheureux. C’est comme respirer, boire, manger. Avant, j’écrivais 5 à 6 heures par jour, maintenant entre 2 et 3 heures. Ce n’est pas un hobby, ce n’est pas une fantaisie ou un passe temps. C’est une recherche constante de travail. Je me rappelle de Marguerite Duras disant à la télévision : Un écrivain écrit maintenant malgré tout, sur tout ce qui arrive. En dépit des difficultés, il faut écrire. C’est un besoin constant. C’est dur.

Qui est Maryse Condé?

Je suis une femme qui a beaucoup souffert. Et qui a beaucoup aimé, qui aime beaucoup. Les rencontres sont un temps fort de ma vie. Et j’aime la jeunesse. Je suis un écrivain.

5 dates choisies par Maryse Condé

– 1948: un prof me demande de parler d’un roman sur la vie en Guadeloupe. je découvre La rue Case Nègre de Joseph Zobel.

– 1953: lecture du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Ce fut un choc, je n’avais jamais entendu parler de lui et il donnait un nouvel éclairage a ma vie.

– 1962: arrivée en Guinée durant ce que l’on a appelé « le complot des enseignants » : des Noirs tuant d’autres Noirs. Ce que je croyais inimaginable.

– 1973: mort de mon ami Amilcar Cabral (assassiné par la police secrète portugaise). Un déchirement extraordinaire : je ne savais pas la force du capitalisme et les méfaits qu’il pouvait commettre dans notre monde.

– 2008- 2009: victoire d’Obama. Sans être naïve et tomber dans l’obamania, je suis heureuse. il reste un long chemin à faire mais c’est quand même un événement merveilleux.

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