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Miloud Kerzazi ré-enchante les quartiers

Le réalisme de l’artiste photographe Miloud Kerzazi s’envole pour nous emmener et nous faire rêver. Un immense talent au service de la Sous-France… Ce que Miloud appelle sa « photo-thérapie ». Allez, on embarque.

J’ai connu ton travail il y a plus de 15 ans, c’était déjà très habité, avec un vrai regard, mais tu partais avant tout de situations réalistes de la vie dans les quartiers…
Effectivement, avec le temps le regard n’a pas changé mais la situation politique et même l’engagement des habitants, oui.
À l’époque, nous avions déjà collaboré pour ton magazine, où nous avions publié des photos sur l’engagement citoyen des jeunes et le vote lors des élections présidentielles. Depuis, j’ai continué de pratiquer cette passion personnelle et j’ai été lauréat deux fois pour le concours photo organisé par Fraternité Générale à la suite des attentats de Charlie Hebdo, sur le thème de la Fraternité. Mes photos ont été sélectionnées pour être exposées sur les quais du métro parisien aux côtés d’autres photographes. Et l’une d’elles, une des plus célèbres représentant le tableau La Liberté de Delacroix figure dans un livre d’histoire géographie chez Hachette, sous le titre Une photo contre le racisme.
La photographie est une passion qui ne m’a jamais quitté. Depuis mon plus jeune âge, j’ai été fasciné par l’art en général, mais la photographie me permet de capturer des moments et de les transformer en souvenirs intemporels.
Mes premiers pas dans la photographie ont commencé il y a plusieurs années, alors que j’habitais dans la Plaine d’Ozon, le quartier populaire de mon enfance. J’ai alors réalisé que je pouvais témoigner de la vie quotidienne des habitants de mon quartier en prenant des photos. Je voulais montrer la réalité de ce que je vivais tous les jours, mais avec un regard différent, celui d’un témoin de l’intérieur. J’ai vite compris que mes photos pouvaient raconter une histoire, témoigner d’un temps passé et faire réfléchir sur notre société actuelle. Je suis donc resté fidèle à ma vision, en capturant des moments de vie, en immortalisant des situations réalistes, mais avec une touche d’émotion et de sensibilité. Pour moi, la photographie est un moyen de communiquer, de transmettre des émotions et de toucher les gens. C’est un art qui ne cesse de m’inspirer et de me surprendre.

» JE SOUHAITE RENDRE HOMMAGE À TOUTES CES ICÔNES qui ont marqué l’histoire des quartiers populaires. »

Avec cette nouvelle série, on sent la force d’un imaginaire, qui reste attaché aux mêmes lieux, aux mêmes gens mais en introduisant une fantaisie, quelque chose qui appelle au rêve…
Cette nouvelle série de photo collage représente une évolution pour moi. C’est vrai que j’ai toujours été attaché aux mêmes lieux, aux mêmes gens, mais je voulais introduire quelque chose de différent. Je voulais raconter une histoire qui permette à mes photos de faire rêver les gens, de leur faire oublier le quotidien et les problèmes de la vie. J’ai toujours eu de l’amour pour la photo noir et blanc, mais cette fois j’ai utilisé des couleurs éclatantes et des éléments surprenants comme des fleurs, des objets ou encore des animaux. J’ai cherché à créer une composition harmonieuse qui raconte une histoire. Cette série est née d’un besoin de changement et d’évolution. Je voulais proposer quelque chose de nouveau, de différent…  C’est l’expression de mon imagination, de ma créativité, et de mes émotions. Je suis très fier du résultat final et j’espère que ces photos pourront toucher les gens et leur permettre de faire appel à leur imagination un instant.

Est-ce que tu souhaites aussi rendre hommage aux icônes politiques, musicales, sportives, citoyennes des quartiers ?
Cette question me touche particulièrement car je suis moi-même issu d’un quartier populaire et je sais à quel point il est important de valoriser les personnes qui ont contribué à donner une image positive de ces quartiers. Je crois qu’il est crucial de rendre hommage à ces personnes-là et j’ai un profond respect pour les obstacles qu’elles ont souvent dû surmonter pour réussir. Elles sont la preuve vivante que la détermination. Le travail acharné et la passion peuvent mener à la réussite, peu importe d’où l’on vient. J’ai toujours cherché à mettre en avant les personnes et les histoires qui méritent d’être racontées. J’ai déjà réalisé un projet qui met en lumière des personnalités de notre quartier, des portraits qui ont pour but d’inspirer les gens à se surpasser, à poursuivre leurs rêves malgré les difficultés.
En somme, oui, je souhaite rendre hommage à toutes ces icônes qui ont marqué l’histoire de nos quartiers populaires. Elles sont une source d’inspiration pour moi et pour de nombreuses personnes dans ma communauté. En leur rendant hommage, nous contribuons à renforcer la fierté et l’estime de soi dans nos quartiers, et nous encourageons les jeunes générations à croire en leurs rêves et à viser l’excellence.

Sous-France reste ta « marque », parle-nous de ce que tu veux dire, ou raconter …
Je vais te copier ce que j’ai exprimé dans un livre photo que j’ai édité localement, c’est long mais ça raconte ma Sous-France :
Les mots m’ont souvent manqué pour exprimer un sentiment ou mes émotions, la photographie m’a permis de les extérioriser autrement que par des mots.
Le passé est une lourde chaine qui tient l’esprit captif. Son lot de drames ne cesse d’hanter le présent de nos âmes. Seul le temps apaise la douleur mais celle-ci ne cicatrise jamais vraiment. On vit avec. Et il faut avancer, tant bien que mal. Et donc tourner un regard d’espoir en l’avenir.
Un cœur meurtri par les injustices discriminantes, les stigmatisations et la souffrance du non-amour d’une mère Patrie.
Un coeur que nul médecin ne peut soigner. Accouché par voie césarienne avec complication d’une maman déloyale envers certains de ses enfants, biberonné au triptyque Liberté • Égalité • Fraternité, difficile d’avaler la pilule républicaine lorsque le bonnet phrygien tombe, et ce, dès le plus jeune âge. Tout le monde n’a pas entendu les mêmes rengaines. Petit, les miennes étaient « Sale Arabe », « Bougnoule ». La phrase « Retourne dans ton pays ? » revenait-elle, aussi très souvent.
Tout enfant a besoin d’amour pour grandir. Les manifestations de tendresse et de bonté que lui renvoie sa famille participent à son plein épanouissement.
Il en est de même de la société qui, pétrie des plus nobles valeurs républicaines, devrait être dispensatrice d’une égale bienveillance à son égard.
Les mots blessants et les conséquences psychiques qu’ils entrainent sont redoutables. Un seul mot suffit à détruire une vie.
Et quand la haine et le rejet sont martelés avec la même énergie, au rythme du « tu n’es pas français », on finit par y croire.
Aujourd’hui encore, beaucoup d’enfants et de jeunes me répondent qu’ils ne sont pas français, égarés qu’ils sont dans les méandres tortueux de la psyché adolescente. À qui la faute ?
Une faute politique ?
Certains politiques décrètent de toute autorité que l’amour de la République doit s’imposer par la contrainte : « la France, tu l’aimes ou tu la quittes », ordonne-t-on. Le fait est que l’attachement au drapeau tricolore, à la Marseillaise et à la Patrie n’est pas une affaire de chantage. Cela doit venir du cœur. C’est une règle de vie simple que nous devrions suivre. Imposer est une aberration. Le bon sens invite à proposer, à expliquer, mais à ne jamais contraindre. Nul ne peut tordre une conscience. Ces politiciens sont englués dans une surréalité qui les empêchent de reconnaître le rejet et le mépris dont ces certains français sont l’objet. Le désarroi face aux mensonges à travers de fausses promesses politiques crée de la frustration et du désespoir. Et pour que l’amour et le respect puissent fonctionner, il doit être réciproque entre des amoureux.
Si les signes de tendresses sont absents, l’affection inexistante, au fur et à mesure le désamour s’implante et c’est le divorce assuré. Dire des choses humiliantes à un enfant amène aussi des relations plus conflictuelles avec sa mère adoptive Marianne. En blessant l’enfant, on peut engendrer d’autres violences. J’ai lu un article où Gilles Lazzi, médecin généraliste explique qu’il voit beaucoup d’adultes qui souffrent d’anxiété, de mal-être.
Quand il les interroge, ce sont souvent des choses de l’enfance qui remontent à la surface, des phrases, des humiliations, des injustices. « C’est important les blessures pour comprendre un individu. Chacune d’entre elles entaillent l’âme jusqu’à la modeler, lui donner une forme propre. Il suffit alors d’effleurer ses cicatrices pour tout comprendre d’elle ». Voilà l’une des raisons pour laquelle, durant toutes ces années, la photographie m’a offert un exutoire salutaire. C’est avant tout une véritable photothérapie qui m’a permis de me délivrer de souffrances intérieures que ravivent les populistes et les xénophobes.
Au bout de ces intimes replis de mon vécu, le lecteur attentif aura compris ce qui anime ma plume : la Sous-France, marquée par la misère, l’injustice et l’oppression subie et invisible. La photo est dans ce sens bien plus qu’une pâle copie du réel. Elle offre à tous ceux qui s’y retrouvent un moyen de s’en extraire. La photo est une voie de libération. C’est là tout mon projet : délier ces âmes prisonnières des chaines du repli sur soi et de la résignation.

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