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Mon discours lors de la cérémonie au ministère de la Ville

Madame la ministre déléguée à la Réussite éducative, Monsieur le ministre délégué à la Ville, Mesdames les sénatrices, Monsieur l’adjoint au Maire de Paris, chers amis et compagnons,

Tout d’abord je tiens à remercier François Lamy, ministre délégué à la Ville, pour son accueil attentif et chaleureux, pour son hospitalité.

Lorsque j’ai été informé de cette décoration j’ai, dans un premier temps, été interpellé… Qu’est-ce qui dans mon parcours pouvait être distingué ? Fallait-il s’en émouvoir, s’en féliciter ? N’était-ce pas une manière d’entrer dans le rang, moi qui, spontanément, n’ai pas d’attirance pour les rangs quels qu’ils soient, moi qui préfère les désordres et les vagabondages de l’âme aux ordres désignés… Très vite une émotion m’a gagné. J’ai pensé à mes parents, eux qui ont surtout connu mes errances, non pas que j’en ai honte de ces errances, car ce sont elles aussi qui m’ont construites… Mais disons simplement que les réjouissances, celles qui donnent une fierté aux parents, un parcours brillant, une réussite palpable, ils n’en ont que peu connu me concernant de leur vivant. Alors, aujourd’hui, si vous sentez un sourire, une caresse, une satisfaction vous effleurer durant cette soirée, c’est peut-être que, secrètement, ils ont répondu à mon invitation, et à votre accueil, monsieur le Ministre. Alors merci pour eux.

Je suis né et j’ai grandi dans un quartier métissé de différentes histoires et de multiples migrations. Dans ma famille, et je veux les saluer ce soir avec tendresse, se sont croisés hier ou se croisent aujourd’hui athéisme, christianisme, judaïsme et islam. J’aime « habiter cette frontière » dont nous parle Léonora Miano, je vibre à ces « égarements de cosmopolite » que nous compte Esther Benbassa… C’est un fait, c’est ainsi.

Je n’ai jamais eu de plan de carrière, je n’en tire aucune gloire, j’étais seulement incapable d’en avoir un, j’ai juste marché sur un fil, porté par des convictions que j’ai souhaité transformer en réflexion, et en contribution. Par-dessus tout, j’ai souhaité transmettre un amour des interrogations, une mise en cause des certitudes et des stéréotypes. Y suis-je arrivé ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais cela a été, et reste, mon souhait le plus cher. « Une rencontre n’est jamais un hasard mais une nécessité »: cette pensée m’a longtemps guidé. Des rencontres, et seulement elles, m’ont mené jusqu’ici, et ce sont des rencontres, hélas de plus en plus improbables, que j’ai cherché à provoquer, coûte que coûte, bien loin du reniement des différences, du culte de l’assimilation ou celui de l’uniformité, mais plutôt dans la conjugaison des ressemblances qui loin d’occulter ces différences souhaitent les identifier, les reconnaître afin de s’en nourrir.

Et si j’en ai une, c’est bien là ma cohérence. On m’a maintes fois accusé de créer des clivages, comme si la transmission, la parole, la connaissance, l’expression de chaque composante de notre société pouvaient être clivantes. Ce qui sépare, ce qui dresse les uns contre les autres, ce qui oppose les mémoires, c’est le silence, c’est l’absence, c’est l’invisibilité. J’ai voulu mettre la chose commune en commun, aussi subjective soit-elle, ce qui n’a rien de communautariste. Créer des passerelles, décoloniser les imaginaires, impulser du vivre ensemble. Si je devais retenir quatre moments forts dans la longue aventure de Respect Mag, ce sont, sans hésiter, les numéros « Juifs de France », « Noirs de France », « Musulmans de France » et « Asiatiques de France ». Quatre immersions dans cette France méconnue, ignorée même, méprisée souvent.

J’ai aimé rencontrer et proposer un espace à des gens si divers, à la fois si pluriels et si singuliers : des contradictions vivantes des clichés plaqués sur eux. La pluralité des visages, mais bien au-delà celle des voix, des parcours de vie, des propositions, des sensibilités ont enrichi cette vision.  J’ai toujours été convaincu que l’apport des minorités, de TOUTES les minorités, était une question majeure, et qu’ignorer la pluralité de ce qui nous constitue, c’est s’ignorer soi-même.

C’est ce qui m’a amené, il y a trois ans, à penser une République multiculturelle et post raciale aux côtés de compagnons de route : François Durpaire, Pascal Blanchard, Rokhaya Diallo et Lilian Thuram. J’en assume chaque ligne. La république multiculturelle, ce n’est pas un copier/coller d’une société anglosaxonne comme cela est si souvent caricaturé. C’est l’invention d’une nouvelle relation entre une société et son histoire, une autre manière de se penser collectivement et de pouvoir se projeter individuellement. C’est avoir une certitude, celle qu’une société métissée ne se mesure pas au nombre de ses mariages mixtes, en tout cas pas seulement, mais à sa capacité de progresser, culturellement, économiquement aussi, sous l’impulsion de ses métissages.

Avec Laurence Méhaignerie, Alexandra Palt, Carole da Silva, Marie-Laure Sauty de Chalon, j’ai travaillé à ce que la reconnaissance de la diversité ne se réduise pas à un slogan marketing mais puisse devenir une réalité, mesurable et concrète. Selon certains, mettre des mots sur la question raciale serait enfermant. L’écrivain américain Eddy L. Harris note dans son essai  Harlem … « Comme si j’étais noir à cause de la couleur de ma peau, à cause des choses que je fais, et non pas à cause de la manière dont le monde perçoit cette couleur, réagit devant elle et l’aborde« .

Depuis 15 ans, d’abord au sein de l’association Terres d’Europe, je me suis penché sur la  relation entre appartenance musulmane et citoyenneté, non pas en termes de conflit, ou de contradiction mais bien de complémentarité. À juste distance d’une islamophobie exacerbée par cinq années de débats intoxicants, et d’un islam identitaire qui, faute de mieux, se nourrit de frustrations. La place des musulmans de France, était aussi annoncée comme un sujet central (parmi d’autres : sans exclusive, mais sans tabou) dès le numéro 0 de Respect Mag. Et ce n’est pas le fait d’interdire tel intellectuel de débat ou de fréquentation, ou celui de sortir d’un chapeau tel imam pour le transformer en star des médias qui solutionnera cette question. Une question qui exige, elle aussi, un regard pour le moins… décolonisé.

Je citerais Amin Maalouf qui écrivait en 1998 dans son essai  Les identités meurtrières (un petit Grand livre que chacun devrait dévorer) : « L’identité d’une personne n’est pas une juxtaposition d’appartenances autonomes, ce n’est pas un patchwork, c’est un dessin sur une peau tendue, qu’une seule appartenance soit visée et c’est toute la peau qui vibre. On a souvent tendance à se reconnaître dans son appartenance la plus attaquée. Parfois quand on ne se sent pas la force de la défendre, on la dissimule alors elle reste au fond de soi-même, tapie dans l’ombre, attendant sa revanche, mais qu’on l’assume ou qu’on la cache, qu’on la proclame discrètement ou bien avec fracas, c’est à elle qu’on s’identifie. L’appartenance qui est en cause, la couleur, la religion, la langue, la classe…. envahit alors l’identité entière. (…) Lorsqu’on sent sa langue méprisée, sa religion bafouée, sa culture dévalorisée, on réagit en affichant avec ostentation les signes de sa différence. Pour aller résolument vers l’autre, il faut avoir les bras ouverts et la tête haute et l’on ne peut avoir les bras ouverts que si l’on a la tête haute. » Fin de citation.

Une chose est sûre : le harcèlement médiatique et politique subi par les musulmans de France a considérablement contribué à fabriquer des replis qui, s’ils restent minoritaires, sont toutefois préoccupants. Et devraient interroger les médias sur leur sens de la responsabilité. « S’ouvrir à la diversité du monde, c’est se donner d’autres yeux » écrivait Marcel Proust.

C’est Olivier Ferrand qui m’a convaincu de poursuivre cette réflexion au sein de Terra Nova, dans la continuité des Appels lancés avec Bariza Khiari, Ousmane Ndiaye, Naïma M’Faddel, Bouchera Azzouz et Anne Esambert. Lorsque j’ai lu certains éditos outrés, en réaction  à nos écrits produits avec Ousmane au sein de Terra nova, j’ai pensé qu’Olivier regretterait sa proposition. Assumant chacune de mes positions mais ne souhaitant pas le gêner, je lui ai proposé de retirer mes contributions et de les publier sur mon site personnel, ce qui n’aurait alors engagé que moi-même. C’était mal le connaître. Sa réponse fut de me confier la coordination de l’Appel pour une France métissée et ses douze propositions « pour faire bouger la République » qui ont interpellé les candidats à l’élection présidentielle. L’une d’entre elles, formulée par Yacine Djaziri a d’ailleurs été retenue. Une création d’emplois francs qui favorisent la mobilité. Celle-ci concerne directement la politique de la Ville, et nous sommes heureux Monsieur le Ministre que vous y ayez été attentif.

Il en reste quinze autres, toutes pertinentes, dans le domaine de la culture, de l’éducation, ou des institutions. À titre d’exemple : la création d’un musée des histoires coloniales que nous défendons avec Françoise Vergès, Pascal Blanchard et Nicolas Bancel. Un lieu de transmission, de partage, de créativité. Ou encore différentes mesures rassemblées par Rokhaya Diallo, à partir du travail des associations, pour reconstruire la relation entre citoyens et police. Aujourd’hui Olivier, l’homme, nous manque cruellement. Et son courage politique sur des sujets tantôt jugés si effrayants, tantôt si délaissés, manque à la France. Je suis particulièrement touché que Carole Ferrand soit avec nous ce soir, ainsi que plusieurs membres de Terra Nova. J’espère que le désormais célèbre Think tank continuera à être précurseur sur une question où tant reste à faire.

Récemment différentes personnalités se sont inquiétées d’une stagnation constatée dans la représentation de la diversité (on l’appellera comme on voudra, mais chacun comprendra de quoi il s’agit), lors de récentes nominations dans différentes instances. Cela semblera à certains accessoire. Il n’en est rien, c’est un signal nécessaire à envoyer à la société française déjà très en retard sur ce sujet.

Il y a tant à rattraper, tant à reconstruire. Nous avons vécu cinq années, sous le précédent gouvernement, qui ont produit des effets désastreux dont on mesure aujourd’hui l’ampleur dans différents sondages.

Vous l’avez dit, monsieur le Ministre, mon université à moi, ma grande école, je les ai improvisées en les nourrissant de rock londonien, de rap américain, de littérature japonaise, de poésie soufie. Et de bien d’autres choses encore… Ce type de singularités, on les paie fort cher dans notre société, si attachée aux repères immédiatement identifiables et normés. Cela m’a posé beaucoup de barrières, et cela m’en pose encore. Cela m’a rendu, je l’espère en tout cas, peut-être plus attentif aux talents en devenir, aux potentiels cachés derrière l’œil d’un futur photographe, sous les mots hésitants d’un futur écrivain, dans la plume incertaine d’un futur journaliste, juste pour les aider un petit peu à éclore, à rester dans le questionnement, à ne jamais faire fi du doute, à chercher la contradiction et la remise en cause. À prendre confiance en soi, sans être trop content de soi : en restant exigeant.

J’ai parlé, parmi d’autres éléments qui m’ont constitué, de ces quatorze années au sein de Respect Mag. C’est une aventure qui aujourd’hui s’éloigne de moi. Il fallut cinq années de travail pour qu’un premier numéro sorte. Et il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur le sort réservé aux entrepreneurs…

Il y a quatorze ans, elles étaient déjà présentes, inventives et convaincues, à mes côtés… J’admire d’ailleurs leur persévérance et leur patience… Si je n’ai pas une seconde songé à refuser cette décoration, à coup sûr je souhaite la partager avec elles : j’aimerais que Marie Vanaret qui illumine ma vie depuis si longtemps, et Bams qui enchante mes imaginaires me rejoignent. J’aimerais aussi partager cet honneur avec tous les contributeurs, présents ce soir ou non, rédacteurs, dessinateurs, photographes, commerciaux qui ont accompagné ce travail, et j’aimerais qu’on les applaudisse. J’aimerais enfin que ceux qui ont partagé le quotidien de cette aventure me rejoignent aussi : Réjane Éreau, Darnelson Lindor, Ludovic Clerima, Maral Amiri, Aurélia Blanc, Ousmane Ndiaye. Je les remercie de tout cœur pour leur présence et leur fidélité. J’aimerais enfin la partager avec tous ceux qui m’ont soutenus, Fadila Mehal (avec qui j’ai eu aussi le bonheur de siéger au sein de la commission Images de la diversité), Frédéric Calens, Jean-Claude Legrand, Ashoka, Denise Causse, Rachid Arhab, Latham and Watkins. Mes amis qui n’ont pu être présents, Bariza Khiari, sénatrice de Paris, Doudou Diene et d’autres encore.

Je remercie encore ma famille pour sa présence et sa tendresse, et tous les compagnons de route, déjà cités ou non, je pense notamment à Jean-Christophe Attias, à Jean-Claude Poulain ou Bétoule Lambiotte.

Et j’aimerais saluer la mémoire de ceux qui sont partis : Édouard Zarifian, Pierre Thèves, Djamel Mekhoukh, Stéphane Hessel, Françoise Seligmann, Olivier encore et toujours.

2013. Une année riche en interrogations et en projets. Je me la souhaite, entre autres, littéraire, c’est l’année de mon premier roman qui, contrairement à ce qu’affirme son titre, This is not a love song, est finalement bien une chanson d’amour. Un territoire, certes, en toile de fond : la Seine-Saint-Denis. Pas de « success story », désolé, ou de « pépite de la République »… Juste des existences sur un fil, fragiles, en chute libre ou en apnée, que j’espère universelles. J’aimerais donc terminer en renouvelant mes remerciements à monsieur le Ministre, et à ses équipes, pour cet honneur et cette invitation par ce court extrait de mon livre (la scène se passe en 1984, à la sortie d’une pharmacie) :

« – Tu sais quoi, J’te file cinquante balles si tu vas à la pharmacie avec cette ordonnance. C’est juste pour des coupes faim.

–   Tu m’demandes ça à moi parce que j’suis grosse ?

–  Oui et que t’as pas les cheveux bleus.

Quinze minutes après, la fille ressortait. Échange. Les trois se séparèrent les pilules. Une gorgée, c’était passé.

– Le speed c’est bien mais si vous voulez je peux avoir de la blanche.

– J’veux pas voir ça, répondit sèchement Magyd.

– Ah ouais ?

– Ouais, toi t’es une bourgeoise, tu peux te le permettre. Moi pas. Un jour, je t’emmènerai visiter mon quartier. Et je te présenterai mon oncle. Tonton Rachid. Ça te fera voyager. Et là peut-être… Peut-être que tu capteras pourquoi j’veux pas voir ça.

– J’voulais pas te blesser.

– C’est l’existence qui me blesse, bébé, c’est pas toi. »

 

Avec Blade et Sabrina

Lien vers l’article dans le quotidien Metro

Merci à tous pour votre présence et votre amitié.

Lien vers le discours prononcé par François Lamy, ministre délégué à la Ville

 

Hamou Bouakkaz, François Lamy, George Pau Langevin, Esther Benbassa

 

 

 

 

Avec Chiara Vanaret et Marie Vanaret

 

 

 

 

 

 

Avec Jackie Celestin et Pascale Colisson
Avec Carole Ferrand et Rokhaya Diallo
Remise de médaille par François Lamy
Avec Bilguissa Diallo
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