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Musulmans de France : pour une citoyenneté inclusive (note pour Terra Nova)

Etre musulman aujourd’hui en Europe, c’est être placé au cœur des mutations identitaires du monde. Des communautés nationales, hier blanches et d’origines judéo-chrétiennes, doivent intégrer de nouveaux citoyens issus de l’immigration récente, aux couleurs de la diversité et d’origine musulmane pour l’essentiel. Les tentatives désespérées pour empêcher la progression des métissages des pensées et des cultures installent les pays européens dans une tension identitaire, marquée par un repli qui n’offre aucune issue en termes de modèle de société.

L’épicentre sismique de la mutation, hier l’immigration, est aujourd’hui l’islam. Mais la finalité de l’instrumentalisation reste la même : la peur comme moteur d’une idéologie ou d’une identité. Le « danger musulman » est positionné au cœur du discours politique des partis d’extrême-droite. Mais pas seulement ! La méfiance, voire la défiance, dépassent les franges traditionnellement conservatrices de notre pays. Dès 2003, le chercheur Vincent Geisser mettait en lumière et dénonçait cette « nouvelle islamophobie ».

Depuis, la situation ne cesse de se dégrader. Sous prétexte de « débat identitaire », la communauté musulmane de France, hétérogène (de ce fait difficile à appréhender mais aussi riche de cette diversité) est constamment renvoyée à ses courants ultraminoritaires, et à leurs dérives (voile intégral, polygamie, etc.). Elle est constamment rappelée à l’ordre par une succession de lois qui, tout en ciblant des pratiques marginales, place l’ensemble de la composante musulmane au centre du problème identitaire français. Le cercle vicieux des extrêmes est entretenu par des cécités médiatiques et par des stratégies indécentes de récupération électorale. Depuis une décennie, la droite ne cesse de s’attaquer au « problème musulman ». Elle applique à cette religion la notion d’intégration. Erreur, car l’écrasante majorité des musulmans de ce pays sont des citoyens français. Quant à la gauche, elle renvoie, comme la droite, l’expression de cette minorité à une laïcité doctrinaire. Loin de faire vivre son principe qui, pourtant, crée les conditions d’un vivre ensemble. Cette approche incantatrice et figée ne permet notamment pas à la jeunesse de se réapproprier cette notion. Il est temps de penser cette question afin de proposer une alternative à la stratégie de tension orchestrée par la droite, et inspirée par l’extrême-droite.

Une grande faiblesse du traitement politique et médiatique réservé à la question de l’islam est la non prise en compte de sa diversité culturelle et cultuelle : diversité des héritages (Maghreb, Afrique sub- saharienne, Asie, Europe et désormais «franco-français») ; diversité des interprétations et des pratiques ; diversité sociale – l’islam reste très lié à des quartiers populaires marginalisés et discriminés lorsque, dans un même temps, une classe moyenne émerge.

Les récits, médiatiques et politiques, ont construit un « islam imaginaire », fantasmé, et ont largement contribué à impulser l’idée d’un « péril intérieur ».

La figure du « musulman modéré », sorte d’exception qui confirmerait la règle, est entrée dans le langage courant. Les grilles de lecture dominantes proposées sont manichéennes… Les musulmans restent enfermés dans une assignation binaire : «modérés» (et les médias s’accordent le droit de choisir leurs représentants) ou «islamistes» (un spectre allant des mouvements violents jusqu’aux tendances conservatrices que l’on retrouve dans l’ensemble des monothéismes). La confusion entre la religion, ses courants conservateurs, et son instrumentalisation dans une idéologie violente est passée dans le langage courant. Et gagne l’inconscient des Français.
Aujourd’hui plus que jamais, une pédagogie et une reconquête du sens des mots est nécessaire. Qualifier sous le même vocable « islamiste » le premier ministre turc Erdogan, les milices armées du GIA, voire l’assassin Ben Laden, est un abus insupportable. Personne ne tolèrerait de voir la chrétienne-démocrate Angela Merkel désignée sous le même vocable que divers extrémistes (Opus Déi, Tea party ou brigades anti-avortement…)!

L’exigence de différenciation va plus loin. « En France, on associe souvent le fondamentalisme au degré de pratique religieuse. Or il est impératif de découpler les deux : des personnes très croyantes peuvent, dans le même temps, tenir un discours profondément ancré dans la modernité», argumentait fort justement le spécialiste Olivier Roy.

Ce harcèlement politique et médiatique, à force de concentrer l’attention sur des courants extrêmes, pousse les musulmans à s’afficher comme un bloc uniforme, à faire front et, de ce fait, à afficher des solidarités absurdes. Il développe, chez les jeunes notamment, une lecture paranoïaque du monde et sert de leitmotiv aux tenants des replis identitaires qui dissertent à longueur de temps sur une islamophobie, selon eux, inhérente à la société française. De toutes parts, l’idée du « nous » et « eux » gagne du terrain.

Le « débat » sur l’identité nationale, sous prétexte de libérer la parole, s’est transformé en panel islamophobe, lieu de tous les amalgames. Marine Le Pen en récolte aujourd’hui les fruits. Nous allons, ainsi, vers une campagne présidentielle où la question musulmane sera, une fois de trop, fortement manipulée.

Il est important que le refus de ces instrumentalisations soit notamment porté par les musulmans. Ce positionnement n’équivaut pas à l’expression d’un communautarisme fermé. Bien au contraire, il participe d’une citoyenneté active, et donc souhaitable.

De plus, des dynamiques « communautaires » peuvent aussi bénéficier à toute la société. Au début des années 1980, face à l’épidémie du sida, c’est bien la communauté gay qui pousse les pouvoirs publics à mettre en place des dispositifs de prévention, d’information et de prise en charge. Cet activisme profitera à tous, car l’épidémie, elle, n’épargnera personne… Une cause minoritaire – en apparence – est devenue un combat transversal, avec des retombées pour toute la communauté nationale. Plus tard, le Pacs (pacte civil de solidarité) suivra la même voie. Porté par la minorité gay, il devient une réponse à de nouveaux modes de vie, homos ou hétéros.

Une parole citoyenne portée par des musulmans (de confession, de culture ou d’héritage), de ce fait libres et affranchis des injonctions, les replacent comme acteurs de leur propre destin et, dans le même temps, dynamise une République inclusive.

Les sociétés de traditions musulmanes sont, elles-mêmes, en mutations, portées par une forte aspiration démocratique. Les révolutions arabes actuelles en sont la plus forte expression. Dans leur approche de l’islam, une grande partie des individus a su faire évoluer la pratique et les modes de pensée avec les aspirations nouvelles. Le besoin d’émancipation dans le monde musulman ne relève pas de « l’occidentalisation », mais d’une inscription dans le mouvement des sociétés, et d’un besoin de démocratisation. Il se heurte surtout aux résistances des pouvoirs en place, mais aussi au conservatisme de certaines franges. La peur de l’islamisation de nos sociétés a son écho : la crainte de l’occidentalisation des sociétés musulmanes, même si celle-ci est, aujourd’hui, occultée par les révoltes et les révolutions du monde arabe.

Islamisation / occidentalisation : leur grille de lecture commune est le rejet de l’évolution par le métissage des pensées, des modes de vie, et des identités. Dans le fond, le discours fondamentaliste reste, religieusement et spirituellement, très faible. Paradoxalement, ce n’est pas l’islam qui assure la cohérence de son rassemblement, mais l’esprit anti-occident.

La culture islamique n’est pas homogène. Chaque société l’a adaptée à son temps et son histoire. Et la présence de plus en plus importante des musulmans en Europe est, elle aussi, un facteur d’évolution de sa pensée. De part et d’autre, l’inscription dans ces mutations identitaires est une nécessité pour nourrir une pensée évolutive. On ne peut définitivement rester sur des identités figées et apeurées.

L’émergence en France et en Europe d’une puissante citoyenneté musulmane participerait, d’une part, à combattre, dans les sociétés musulmanes, les lectures d’un monde binaire : Occident contre islam. Dans un même temps, elle permettrait de refuser, ici, les assignations qui cantonnent les musulmans à être « un problème », voire « le problème », en les positionnant comme des acteurs incontournables, et non plus comme des sujets. Enfin, un rassemblement inédit de citoyens d’héritage islamique, croyants ou non, allant jusqu’aux représentants du culte, sur des positionnements communs, brise bien des barrières, conscientes et inconscientes, de celles qui bloquent les évolutions.

Cette citoyenneté passe par une meilleure participation électorale – et à cet égard, le tour de France des Scouts musulmans pour encourager le vote des jeunes de quartier devrait être soutenu et mieux médiatisé. Elle passe aussi par un plus grand investissement des Français musulmans dans le débat public, débat qui ne doit pas être accaparé par les seules forces réactionnaires. La formation des journalistes – sur la diversité de la réalité musulmane, les différents visages des conservatismes, des fondamentalismes et de l’islam politique – est aussi un objectif prioritaire. L’avènement rapide d’une classe politique d’origine musulmane est également indispensable, et c’est aux partis, notamment progressistes, de s’en assurer.

Ouvrir la porte d’un dialogue serait, ici comme là-bas, porteur de dynamisme et de changements. Il est temps de créer des dynamiques communes et des échanges constructifs.

QUELQUES PROPOSITIONS

Inclure dans le cursus des étudiants en journalisme, mais aussi dans les rédactions, y compris auprès des rédacteurs en chef, et également dans les partis politiques, des formations sur :

– les débats qui parcourent le monde musulman

– l’histoire, la sociologie et la diversité des musulmans de France

– les différents visages des conservatismes, des fondamentalismes et de l’islam politique

– la citoyenneté musulmane

– les nouveaux penseurs de l’islam.

Pourquoi ? Parce que la représentation dans les médias souffre d’une pratique courante des amalgames et de l’usage des stéréotypes, notamment celui de l’islamiste et du modéré. « L’islam positif » n’y est quasiment jamais représenté. Trois exemples parmi de nombreux autres : – Les voyages des musulmans à Auschwitz, en mémoire aux victimes de la Shoah, rassemblent depuis des années des groupes importants et ne sont pas médiatisés.

– L’initiative lancée par Respect Magazine, et largement suivie, « L’islam bafoué par les terroristes » a, certes, été très relayée par la presse écrite et les radios, mais très peu par les télévisions. – Enfin, le tour de France citoyen des Scouts musulmans pour encourager le vote des jeunes des quartiers souffre d’un déficit d’information.

Soutenir et développer des initiatives remarquables d’enseignants qui, en abordant, de près ou de loin, la question du fait religieux impulsent du vivre ensemble.

Inscrire dans le calendrier républicain une fête qui ne soit pas strictement catholique, mais un jour des religions. Cette journée de fête commune sera, notamment, l’occasion de mieux faire connaître l’islam.

 

Par Marc Cheb Sun, , Ousmane Ndiaye,

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