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Rencontre avec AUDREY PULVAR (Octobre 2011)

Journaliste hors pair, Audrey Pulvar représente une rigueur, un parcours, des convictions. Rencontre dans un minuscule bureau de France Inter avec une bosseuse acharnée.

Un bon papier ou une bonnechronique, c’est quoi pour vous ?

C’est bien écrit et rigoureux. On choisit ce métier-là par curiosité des autres. Pour donner
la parole à ceux qui ne pensent pas comme vous. Le meilleur test, c’est de traduire son texte dans une langue étrangère : ça vous oblige à dégraisser complètement pour aller à l’info. Vous vous rendez compte où est l’info et où est le superflu.

Petite fille de Martinique, une date historique qui vous est chère ?

L’éruption de la montagne Pelée. J’aurais pu citer l’abolition de l’esclavage, mais je choisis la montagne Pelée parce que c’est notre volcan. Quand il est entré en éruption, il a tué près de 30 000 personnes. Peu de gens savent à quel point Saint-Pierre, tout au long du XIXe siècle jusqu’au début du XXe, était dynamique, cosmopolite, lieu de culture. Tout a commencé à péricliter après ce drame [qui détruisit entièrement la ville en 1902, ndlr].

Un acte traditionnel que vous affectionnez particulièrement ?

Le premier, c’est Noël. Moi, je ne suis même pas baptisée, mais j’en garde de forts souvenirs. À la génération de mes parents, La Martinique était encore très pauvre. Quand quelqu’un avait un petit peu d’argent, il achetait un cochon en début d’année qu’il nourrissait patiemment.
Et puis, à Noël, on tuait le cochon et on distribuait la viande à tout le quartier. C’était une fête du partage et cette notion-là est restée. L’autre tradition, c’est « le chocolat de première communion ». L’île est très religieuse, catholique essentiellement. La première
communion, c’est l’occasion d’une énorme fête, qu’on soit croyant ou pas. À la fin, au petit
matin, on boit ce chocolat fait avec des amandes, du lait sucré. C’est à tomber par terre. Quand ma mère vient à Paris, je lui dis : « Fais-moi un chocolat de première communion». Le goût de l’enfance.

Un changement que vous souhaiteriez…

Un changement institutionnel. Je suis pour une beaucoup plus grande autonomie des départements d’outre-mer. Il y a eu plusieurs phases dans l’histoire politique antillaise. Dans le combat pour la décolonisation, deux branches sont apparues : ceux qui voulaient aller au bout de l’indépendance et ceux qui étaient plus assimilationnistes.

Le mouvement indépendantiste a perdu du terrain. Une autre voie s’est dessinée, celle de l’autonomie. C’est un premier pas. Avec la possibilité de signer des traités, d’établir des relations commerciales avec nos voisins, d’avoir un pouvoir de décision plus étendu, ce qui est assez compliqué aujourd’hui. Moi, je suis pour l’indépendance de la Martinique. Ça n’arrivera probablement pas de mon vivant, mais je pense que c’est un horizon accessible, et souhaitable.

Développer des relations avec ses voisins plutôt que de se focaliser sur l’Hexagone ?

Quelqu’un qui a mon parcours, mon enfance et mes ambitions devrait pouvoir se retrouver sur une radio brésilienne, dans une télévision vénézuélienne ou à Miami. Je ne dis pas que j’aurais préféré, mais cela aurait été plus logique. Pourquoi traverser l’Atlantique et venir s’installer en Europe ? Parce qu’on a été habitué comme ça, parce qu’on a une instruction scolaire qui nous met dans ce parcours-là, quasiment obligé. Pour un étudiant antillais, Il est beaucoup plus simple de faire sa scolarité à Toulouse que dans une université du Brésil ou à Miami. Il serait logique que le flux soit différent.

À quoi tient votre réussite professionnelle ?

Beaucoup de travail, depuis le tout début. Quand j’ai voulu être journaliste, je ne me suis pas dit : « Je serai très connue et super exposée ». Moi, je voulais exercer mon métier, point. Car il me passionnait. Puis, les choses se sont enclenchées au fur et à mesure. Je bosse, je bosse, je bosse. Certains ont moins d’heures de vol à leur actif, mais sont à des positions beaucoup plus exposées que la mienne. On n’a pas jeté de pétales de roses sur mon passage, au contraire. Et cela continue, ce n’est jamais acquis. C’est parce que je ne suis pas dans le réseau. Si j’avais ce tempérament à être de toutes les coteries, de tous les dîners, peut-être que ma position, aujourd’hui, serait beaucoup plus confortable. Mais ce n’est pas mon truc.

Quel événement rêveriez-vous de couvrir ?

La deuxième campagne de Barack Obama. Mais cela ne se fera pas. J’avais déjà candidaté à France Télévisions pour le poste de correspondante à Washington en 2009. Je trouvais l’événement passionnant, ça ne s’est pas fait.

2007-2011 : quatre ans de politique sarkoziste. Une mesure que vous appréciez ?

L’autonomie des universités. Je ne sais pas si la mesure a été bien conduite mais je pense qu’elle est en train de réussir.

Une que vous regrettez particulièrement ?

La réforme des retraites. Le matraquage selon lequel la France serait un pays où l’on travaille moins, où l’on part à la retraite plus tôt. C’est très facilement démontable, chiffres à l’appui. Faire travailler les gens plus tard, alors qu’à 58 ans, beaucoup se font virer où partent en retraite anticipée, ça n’a pas de sens.

Question diversité, la période est tendue…
La société française, comme d’habitude, va plus vite que son monde politique. Dans la réalité des faits, elle a bougé. Mais l’exemple doit venir d’en haut, des partis politiques, de la représentation nationale, qui reste majoritairement celle d’hommes blancs, au-delà de 40 ans, issus d’un parcours universitaire et politique bien précis. C’est ça qui doit changer. Et aussi bien à droite qu’à gauche. Le non-cumul des mandats, adopté envers et contre tout, devrait permettre un certain renouvellement. J’ai souvent tendance à dire que la gauche française, c’est « la Société des amis des Noirs »*, des gens qui vous passent la main dans le dos tant que vous êtes en position de victime. Dans les médias, il y a des gens compétents ; ils méritent les mêmes chances que les autres. Surtout, il faut un travail sur les contenus. Celui des publicités, des films, des fictions. Qu’on soit moins dans la caricature. Même si cela a quand même évolué depuis trois ans. La stigmatisation d’une communauté, c’est insupportable. La gauche doit être intransigeante sur ces sujets. Lors du procès d’Éric Zemmour, un groupe de parlementaires a signé une pétition pour le soutenir.Où est celui qui s’est constitué pour soutenir les plaignants ?

Mesurer la présence des minorités pour avoir une lecture fiable de notre réalité et pouvoir agir, vous y êtes favorable ?

Je ne suis pas contre l’idée de compter les gens. Quand je suis arrivée à France 3, c’était la première fois qu’une Noire présentait un journal sur une chaîne hertzienne. Il y a eu toute une polémique sur certains sites communautaires… On m’aurait choisie car « pas trop noire ». J’ai trouvé ça insupportable. Mes deux parents sont martiniquais, mon père était plus clair de peau parce que ce peuple est métissé : à la cinquième ou sixième génération au-dessus de moi, il y a sûrement un colon blanc. Si on devait compter les gens en fonction de leurs origines, il faudrait faire un mix entre le ressenti et quelque chose qui soit vraiment fiable, comme un grand-parent d’origine étrangère. Le principe de donner une photographie de la société française amènerait des discussions, ferait tomber des tabous et des lieux communs.

Être une femme noire et influente, ce n’est pas rien…

Quand Condeleezza Rice a été reçue à Sciences Po, c’était la première fois que je voyais, en France, une femme noire accueillie comme ça. Ça m’a vraiment touchée. Même si je ne partage pas ses idées, j’ai réalisé combien ce genre de symbole avait d’importance. Je ne suis pas une porte-parole mais cela compte, c’est évident. Symbole pour symbole, j’aurais adoré que Michelle Obama continue de travailler… Un président noir à la Maison blanche… Et une Première dame qui ne renonce pas à sa profession, voilà qui aurait été bien, non ?

Recueilli par Bams et Marc Cheb Sun

* En 1788, la Société des amis des Noirs est créée par Jacques-Pierre Brissot et Étienne Clavières.

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