Wolfgang, c’est la fuite vers Berlin, loin de l’ennui bavarois, pour plonger dans les nuits…
Ma postface pour Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias
Le Livre Blanc, créé sous la direction d’Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias à partir de leur colloque Dans les quartiers, l’égalité c’est maintenant, est sorti. Livre blanc dont j’ai écrit la postface que voici…
Innover, enfin !
L’injustice sociale signifie qu’on se refuse à soi-même beaucoup de choses, afin que les autres y renoncent à leur tour ou, ce qui revient au même, ne puissent pas les réclamer. C’est cette revendication d’égalité qui constitue la racine de la conscience sociale et du sentiment du devoir. Sigmund Freud, Psychologie collective et analyse du Moi, 1921.
Décembre 2005, coup de fil. Je découvre l’accent chantant d’Esther Benbassa, sa « négritude », comme elle me dira plus tard… Esther me propose d’intervenir pour la première grande manifestation du Paris(s) du Vivre ensemble en mars 2006. Là-bas, à l’Unesco, je les rencontre, elle et Jean-Christophe Attias, initiateurs enthousiastes et passionnés d’une passerelle contre toutes les formes de discriminations. La « diversité », mot ô combien galvaudé depuis (car vidé de son sens) prend bien corps ici entre tables rondes, concerts et ateliers avec des lycéens.
2013, sept ans plus tard, ce «vivre ensemble» est plutôt mis à mal. Mais à défaut de vie commune, des pratiques impulsent du «faire ensemble». Concrètes, souvent innovantes, déclinables, elles interpellent tous les terrains. Habitat, logement, transport… Pouvoir «se penser librement dans la mobilité»* au-delà des frontières urbaines, sociales, raciales, au-delà de ce qui est palpable, visible, et des frontières mentales aussi, celles qui assignent à résidence ou à origines tout ce qui nous construit… Vaste projet. Des vies, des existences, des rêves, des réalisations… Et une société commune pour partager ce qui nous constitue avec nos différences dont la reconnaissance permettrait de tous pouvoir accéder à nos ressemblances. C’est bien cela qui ressort de ces pages, de ces initiatives, de ces propositions. Penser, créer, agir coûte que coûte.
Éducation formation, emploi… Il est temps d’investir, oui enfin, sur nos potentiels, hors des schémas et des normes paralysantes. Temps de faire place à l’invention, à l’inclusion. Les banlieues, une pépinière de talents ? À voir. Gare aux nouvelles mythologies tout aussi enfermantes, celles qui déclarent les uns « exceptionnels »… et les autres inutiles. Ouvrir ou enfoncer les portes… Descoings a osé dès 2001 et, rappelons-le, contre vents et marées. Carole Diamant lui rend hommage et rappelle l’urgence -toujours d’actualité- de «lutter contre les déterminismes». Voilà un enjeu de taille !
L’histoire est ici convoquée par Louis-Georges Tin : celle qui nous relie à un fil et dont l’enseignement se doit d’évoluer. Notamment dans l’appréhension de l’histoire coloniale dont le récit nous éclaire sur nos blocages actuels et nous permet d’analyser les rapports de domination persistants. C’est cela que nous avons, tous, besoin de comprendre : ce qui depuis hier -ou avant-hier- rebondit dans notre présent. Sinon comment changer la donne, comment passer à une autre aire, réellement post-coloniale et post-raciale ? Comment, si ce n’est par le savoir ?
Le développement économique, souvent mis de côté, est ici traité. Nous attendons encore notre «small Business Act» qui aidera à propulser nos petites et moyennes entreprises et encouragera, notamment pour prétendre accéder aux marchés publics, les entreprises installées et les grands Groupes à diversifier leurs fournisseurs. Technique ? Non, juste un effort pour comprendre… Notre développement impose de briser, là aussi, les automatismes qui mettent dans la course toujours les mêmes. Et bloquent l’innovation – ou juste l’initiative.
Combattre les discriminations. DISCRIMINATIONS. Cernables et mesurables, pour peu qu’on s’en donne les moyens. DISCRIMINATIONS. Celles qui mettent à mal notre pluralité faite de parcours de vie, d’héritages migratoires -moins linéaires souvent, chaotiques parfois- mais potentiellement riches d’une effervescence qui se nourrit d’ici et d’ailleurs. Une pluralité stimulée par nos rapports au monde, aux corps, aux désirs. Les ailes coupées, sous l’entrave de territoires urbains qui se complaisent à -tous- nous imaginer avec deux bras, avec deux jambes, deux yeux vaillants, des oreilles aux aguets, une musculature en éveil, une colonne vertébrale à toute épreuve. Faisant fi des défaillances du destin…
Culture et médias. D’une « École miroir » proposée par Catherine Jean Joseph à une refondation dynamique de la presse et de l’audiovisuel, que d’explorations… Curieux de voir pourtant comme on continue de se heurter aux mêmes facilités, aux mêmes paresses de pensée, à l’étroitesse des références poussiéreuses. Récemment un média meanstream me demandait un avis sur la «culture banlieue».
– La quoi ?
– La culture banlieue.
– Ah…
Drôle d’idée que de réduire une culture à un territoire social… D’autant plus étrange lorsque ce territoire est, lui-même, fortement… multiculturel ! Le “multiple” aurait-il une frontière, un check Point à passer, dans notre douce République égalitaire dont la réalité n’en est, certes, pas à une contradiction près ? “Banlieue” d’un côté, “universel” de l’autre? Un péage? Des visas? Un droit de passage? Du détaxé? Un marché de l’art bradé, dégriffé, avec logos dupliqués? De l’import-export? Un ministère des banlieues étrangères? De la culture out, off, bis, autre? La “banlieue”, dans cette logique ne serait pas la France… Pas la vraie, car la vraie, elle, fait de la culture, pas de la culture “banlieue”, de la culture centrale. Une culture «mise au banc», ça fait quand même bizarre, non? ça fait pas très culturel…Et puis, c’est quoi ce qui la définirait cette “culture banlieue”? De se nourrir de France, outre-mers cette fois inclus, d’Afrique, de Maghreb, d’Asie, de States, et d’ailleurs? D’être dans une sorte de mondialisation positive? Pas effrayée, pas renfrognée, pas plus spéculative qu’une autre, pas moins non plus. Mixée. Imprégnée de dedans, de dehors, d’avant et d’arrière garde. De messages et de contre-messages. Alors arrêtez de nous saouler avec votre “culture-banlieue”… La culture, les cultures, sont faites pour transcender les frontières. Ouvrir les portes, déranger nos habitudes, bousculer les consciences, faire groover les esprits. Les artistes, d’un côté ou de l’autre du périph’, ne sont pas des singes. Et la vie n’est pas un zoo. Enfin, jusqu’à nouvel ordre…
Marc Cheb Sun
* Citation de Stéphane Coloneaux.