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Vers une France postraciale

Septembre 2009. De l’autre côté de l’Atlantique, les Afro-Américains et les minorités ethniques en général ont trouvé, il y a bon nombre d’années, une terminologie pour se nommer. La question tranchée, ils sont passés à l’action.

En France, nous somme encore à chercher le bon mot. Dernier en date, immédiatement controversé ( culture nationale oblige) : «  minorités visibles », terme employé pour désigner les populations discriminées en raison de leurs origines. Visibles, oui, ou audibles par la consonance de leur nom ou prénom. Principalement noirs, maghrébins, asiatiques. Minoritaires, ce qui n’est pas un problème en soi, mais, surtout, « minorés » comme dirait Jean-Claude Tchicaya (1).

Problème : peut-on parler d’ethnies en France sans créer des décennies de polémiques ? Peut-on s’harmoniser sur une façon de nommer, si imparfait soit le terme retenu, pour enfin agir de manière cohérente, déterminée, mesurable ? That is the question ! Beaucoup objecteront que « la race n’existe pas », sentiment ici partagé. Rappelons-leur, une fois encore, que nous parlons de projections raciales sur les individus et les groupes, et non de facteurs biologiques objectifs. Que, de plus, les définitions de « races » et « ethnies » sont  très différentes. Les directives européennes  contre les discriminations – qui ont, pour la France, toujours été moteur d’avancées – par  lent prudemment, mais  justement, de « race  réelle ou supposée ». « Comme si j’étais noir à cause de la couleur de ma peau, à cause des choses que je fais, et non pas à cause de la façon dont le monde perçoit cette couleur, réagit devant elle et l’aborde », note l’écrivain américain Eddy L. Harris dans son essai Harlem… En France, le monde économique, avec la Charte de la diversité en 2004, a devancé les mondes politique, culturel et médiatique, en mettant sur la table le mot «diversité », citant sa composante ethno-raciale. Est-ce enfermer les individus que de poser le doigt sur les regards, et les pratiques, qui, elles, pour sûr, les enferment dans des appartenances raciales ? Dans la même logique, se donner des outils efficaces pour mesurer et les discriminations, et l’impact de ce qui est fait contre elles, est une nécessité. S’opposer à la collecte de données ethno-raciales ayant pour but le recul des discriminations et l’avancée de la diversité est une aberration. Réalisée sur une base anonyme, ou par l’intermédiai- re d’un organisme indépendant (afin d’éviter la mise à disposition de fichiers aux entreprises et administrations), cette pratique ne conforte en rien le préjugé racial. Elle mesure, au contraire, son impact sur le quotidien des minorités visibles et sa possible régression. Car c’est bien là notre but: progresser réellement et durablement. Encore faut-il connaître précisément l’efficacité de nos actions afin de les renforcer ou de les corriger! « Se définir, c’est s’enfermer», crient les opposants. « Si Barack Obama se définit comme noir, et non comme métis, précise l’historien François Durpaire, c’est parce que la société américaine le voit comme tel. C’est donc sur ce terrain que son combat s’est construit. » Obama est métis par son histoire personnelle ; il est noir parce que ce ressenti, dans une société à forte consonance raciale, s’impose à lui. Et son message réconciliateur s’inspire de ces deux pa- ramètres. Sa pensée fortement métissée ne cautionne pas les propos racistes (contre les blancs et contre les Américains) du Révérend Wright, tout en expliquant (2) que cette violence renvoie à l’Histoire américaine, celle que chaque Américain doit aujourd’hui assu- mer. Autrement dit, pour passer à une société « post-raciale », il faut d’abord reconnaître la part raciale de notre histoire.

La France face à sa question raciale

Ok pour les États-Unis, objecteront les sceptiques, mais la France ? « La notion de race a été centrale pendant plusieurs décennies dans la culture française, explique la chercheuse Carole Reynaud-Paligot (3). Dans la période 1860-1930, l’anthropologie raciale, science officielle, affirmait que chaque race possédait des caractères physiques et des aptitudes intellectuelles spécifiques, que la race blanche était supérieure aux races jaune et noire. Ces représentations étaient largement présentes au sein de la presse, de la littérature, dans les manuels scolaires. Après la Seconde Guerre mondiale, cette “science” s’est trouvée discréditée et a disparu. Toutefois, des représentations raciales demeurent, aujourd’hui encore, dans l’imaginaire collectif. Il faut prendre conscience de l’importance de cette “culture raciale” pour plusieurs générations de Français, et mener des actions énergiques et résolues pour s’en débarrasser définitivement. » «Nous avons tous grandi avec l’image de Banania sur notre table de cuisine, résume l’historien Pascal Blanchard, eh bien oui, ça laisse des traces dans les esprits !».L’Histoire de France est certes fort différente de celle des États-Unis. Mais chez nous aussi, la société post-raciale est, au mieux, un projet à construire. Qui demandera toute notre énergie et toute notre lucidité. Alors, prêts ?

Marc Cheb Sun

(1) Voir son billet d’humeur sur www.respectmag.com

(2) Dans son célèbre discours de Philadelphie en mars 2008, durant la course à l’investiture démocrate en vue des élections présidentielles américaines.

(3) Carole Reynaud-Paligot, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine, Presses universitaires de France.

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